A propos d’intelligence commerciale …

L’idée qu’il existe plusieurs formes d’intelligence est aujourd’hui largement acceptée.

Selon Howard Gardner, pionnier et promoteur de la théorie des intelligences multiples (« Frames of mind », 1983), il existerait même huit catégories d’intelligence. De quoi donner du baume au cœur aux artisans, artistes et sportifs, car cette théorie met l’intelligence du geste, du corps et de la musique au même niveau que les capacités « logico-mathématiques »…

… et de quoi réconforter les commerciaux, car ils utilisent certainement plusieurs formes d’aptitudes, dans le domaine de la relation aux autres, du langage, de la réflexion sur soi, et aussi de la bonne vieille logique. Et n’oublions pas la fameuse intelligence émotionnelle, développée par Peter Salovey et John Mayer (1990), qui a probablement inspiré le concept très à la mode de HPE, Haut Potentiel Émotionnel, inventé par la psychanalyste Raymonde Hazan en 2012. 

Les commerciaux doivent savoir ressentir, communiquer, agir, décider, et même, si on suit les verbatims des offres d’emplois spécialisées, être « organisés », « stratèges », « patrons de leur secteur ». N’en jetez plus ! L’intelligence commerciale devrait, compte tenu de sa richesse, être extrêmement appréciée et valorisée.

Mais ce n’est pas le cas.

Ingénieurs vs commerciaux

Car il faut bien le reconnaître, l’intelligence logique bénéficie encore aujourd’hui d’une large avance dans le classement subjectif de tout un chacun. 

C’est vrai dans la famille, à l’école, et dans l’entreprise.

Pour s’en convaincre, il suffit de demander autour de soi si l’on préfère que ses enfants deviennent ingénieur ou commercial. 

Jacques Ségala, en 1979, intitulait son livre « Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… elle me croit pianiste dans un bordel ». Il dénonçait déjà avec ironie les échelles de valeurs subjectives attachées aux métiers.  Depuis, les mentalités ont peu évolué.

Voici quelques exemples de propos entendus dans l’entreprise, parfois dans la bouche de dirigeants, et qui confirment un certain mépris pour la vente, métier jugé « sale » : 

« Les commerciaux ne sont intéressés que par l’argent »

« On ne demande pas aux commerciaux de penser »

« Un bon commercial est nécessairement extraverti (grande gueule) »

« Les commerciaux sont de grands enfants »

En France, il existe une distinction implicite entre « ce qui élève », et ce « qui abaisse ». Selon d’Iribarne (L’Etrangeté Française, 2006), c’est même ce qui différencie notre pays des autres. Il y voit une survivance du système féodal, auquel l’aristocratie française s’est agrippée jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, et qui a perduré malgré (à cause de ?) la Révolution.

Et la vente ne fait pas partie des métiers « nobles » …

Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les statistiques concernant le premier emploi des jeunes diplômés sortant des meilleures écoles de management françaises. La vente est la quatrième fonction choisie, derrière le Conseil et l’Audit, la fonction financière, et le Marketing. 

So what ?

Ces constats désolants ne seraient qu’un « fait de société » anodin, s’ils n’avaient pas des conséquences importantes sur la rentabilité des entreprises.

D’abord, le constat : il est de plus en plus difficile d’attirer et de retenir les meilleurs vendeurs.

Conséquence : des secteurs commerciaux non « pourvus » en permanence, des coûts de formation et de séparation, et la dégradation de la relation avec les clients, avec des effets inévitables sur le C.A.

Ces difficultés ont en partie pour origine des causes externes : les professions commerciales, moins valorisées que d’autres, attirent tout simplement moins les jeunes. Mais à cela, l’entreprise n’y peut pas grand-chose, cela ne se situe pas dans sa « zone de contrôle ».

Intéressons-nous donc aux causes internes.

Qu’est-ce qui différencie l’équipe de vente d’une entreprise de celle d’une autre, et la rend plus performante ? 

Viennent assez spontanément à l’esprit les facteurs visibles, en général bien identifiés, pour comparer une entreprise avec d’autres : utilisation du CRM, découpage du cycle de vente, sectorisation, des secteurs, nature des rituels managériaux, les « process », profil et formation des commerciaux, système de rémunération …

Mais une fois le benchmark effectué, on reste sur sa faim. Il est possible d’identifier des bonnes pratiques chez les autres. Mais quand il s’agit de les importer dans son entreprise, ça se complique ! 

D’abord parce que la performance de l’équipe de vente ne dépend pas que d’elle-même, mais aussi d’éléments exogènes : position concurrentielle, caractéristiques du marché, canaux de vente, etc… Ce qui rend la comparaison « ceteris paribus » (toutes choses égales par ailleurs) très compliquée.

Ensuite, parce que les facteurs sont reliés entre eux, et forment un système. Par exemple, un excellent programme de formation a peu de valeur s’il n’est pas intégré dans les rituels de management. Et de magnifiques tableaux de bord d’activité ne servent à rien sans accompagnement terrain de qualité.

En revanche, il est possible de comparer les entreprises à un autre niveau, celui des croyances et des valeurs. En particulier sur le sujet de l’intelligence commerciale, et de la manière dont elle est appréhendée.

Taylor pas mort ?

Là où elle est ignorée s’épanouissent des pratiques de management commercial tayloriennes. Son principe est simple : les managers pensent, les commerciaux exécutent ( « ils n’ont pas à penser »). La source de performance est l’industrialisation maximale des processus commerciaux, découpés en tâches, chaque tâche étant définie de manière normalisée (« one best way »). Observons que les CRM nous incitent à une vision séquentielle de la vente, et facilitent le travail d’industrialisation.

Mais quelle motivation pour les commerciaux à adhérer à ce système ? 

La réponse est simple : aucune – en dehors de la rémunération ! 

Nous le savons, depuis les travaux de Deci et Ryan (1985), l’argent n’est pas une motivation comme les autres. Il s’agit d’une motivation « extrinsèque ». Ce type de motivation (« carotte et bâton ») est très performant pour les tâches répétitives et peu intéressantes. Celles que Daniel Pink nomme les « tâches algorithmiques ».  

Les plus fatalistes d’entre nous se résignent devant les « inconvénients inévitables » du progrès. Il n’y aurait pas d’autre alternative que d’automatiser au maximum tout ce qui peut l’être, faute de ne plus être compétitif. En clair : externaliser la prospection et la production de leads, orienter les petits clients vers des plateforme centralisées, encourager la vente en ligne, utiliser l’I.A., etc… Certains prédisent même la fin des commerciaux.

Faut-il pour autant renoncer ?

Certainement pas !

Car les commerciaux, aujourd’hui, sont de plus en plus confrontés à la complexité. Complexité des relations commerciales, des enjeux des clients, et des solutions concurrentes. Plus que jamais, donc la capacité à comprendre, à s’adapter, et à innover est requise de la part des commerciaux. L’intelligence, en somme !

Le système de management commercial se doit donc d’être, lui aussi, intelligent. Une condition sine qua non est d’arrêter d’essayer de « motiver » les commerciaux mais d’installer et faire vivre un cadre dans lequel les commerciaux trouvent de la motivation (principe de la motivation intrinsèque). Les maitres mots, selon Daniel Pink (« La vérité sur ce qui nous motive », 2009) sont : autonomie, maitrise, et sens


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